Le Carême, hier et aujourd’hui

Le Carême, hier et aujourd’hui

Louis-Marie Chauvet

Article paru dans les Nouvelles Religieuses d’Eaubonne, dans les années 2000 où L-M Chauvet était vicaire de la paroisse d’Eaubonne

► Père Louis-Marie Chauvet pouvez-vous nous rappeler comment le Carême a été mis en place et pourquoi ?

Louis-Marie Chauvet : Il faut se rappeler que le jeûne avait une grande place dans le judaïsme d’abord, puis dans le christianisme. C’est ainsi que l’on jeûnait deux fois par semaine dans l’Antiquité, le mercredi et le vendredi[1].

La pratique de jeûner, recommandée dans les Évangiles, était donc une pratique courante. On a commencé par un ou deux jours de jeûne avant la communion de la vigile Pascale. Puis, cette pratique s’est étendue très vite à l’ensemble de la Semaine Sainte.

C’est au début du IVe siècle que le Carême s’est instauré comme tel, d’abord à Rome, puis plus largement. Il était vécu d’une part en lien avec la préparation des adultes au baptême (ce baptême avait lieu pendant la Vigile pascale), d’autre part en lien avec la réconciliation des pénitents (qui se faisait le Jeudi Saint). Pour comprendre le Carême, il était donc important de le relier à ce double aspect baptismal et pénitentiel. Et toute la communauté chrétienne entourait les futurs baptisés et les pénitents par sa prière et son jeûne.

► Mais comment les choses se passaient-elles concrètement ?

L-M C : Le Carême a d’abord duré trois semaines correspondant aux trois dimanches où étaient célébrées les étapes (ou “scrutins”) des futurs baptisés et au cours desquelles on lisait les trois évangiles suivants : la Samaritaine (« Je suis l’eau vive »), l’aveugle-né (« Je suis la lumière »), la résurrection de Lazare (« Je suis la vie »).

Ce n’est qu’au VIe siècle que le Carême a duré 40 jours[2] et qu’on l’a fait commencer un mercredi, car le dimanche on ne jeûne jamais. Et l’imposition des cendres[3] a été pratiquée au Xe siècle.

Dans l’Évangile (cf. Mt 6), le jeûne est lié à l’aumône et à la prière. Les trois éléments sont liés. Je signale d’ailleurs au passage que, dans l’Antiquité, le chemin normal pour le pardon des fautes quotidiennes est, avec la prière, la pratique du jeûne (maîtrise de soi) et l’aumône (partage avec les plus pauvres).

► Mais aujourd’hui, peut-on faire du Carême une sorte de ramadan chrétien ?

L-M C : En premier lieu, cela me semble impossible : comme toutes les pratiques rituelles religieuses qui sont suivies par une masse importante de la population, le ramadan fonctionne bien parce qu’il est lié à des structures sociales et à une mentalité culturelle que n’a pas ou pas beaucoup entamé la modernité avec son cortège d’individualisme, de choix personnel, d’accent mis sur la sincérité subjective, etc. ; ou encore, il fonctionne dans des groupes largement imprégnés de modernité, mais qui, pour sauvegarder leur identité – une identité qui se sent menacée précisément par la modernité – éprouve le besoin de se resserrer autour de leurs valeurs traditionnelles, religieuses notamment. Or, tel n’est pas le cas de la grande majorité des Français de souche. Vouloir refaire du Carême une sorte de ramadan chrétien est devenu culturellement et socialement impossible. […]

► Cela veut-il dire que le chrétien peut se passer du Carême ?

L-M C : Certainement pas, car les rites ne sont pas, a priori, opposés à la liberté et à la responsabilité. Il suffit, pour s’en convaincre, de constater que notre Carême chrétien, parce que trop déritualisé n’appelle plus la majorité des gens à rien.

La question est donc la suivante : quelle dose de conduite rituelle suffisamment ferme ou, pour le dire autrement, quelle dose de signes visibles du Carême faudrait-il maintenir ou réinstaurer pour que les chrétiens se sentent appelés à vivre un vrai carême du Cœur ? Sans une dose suffisante, il n’y a pas de signe, donc pas d’appel en ce sens.

Ce qui importe, ce n’est pas le signe comme tel, le rite, mais ce à quoi il appelle : la conversion du cœur, le partage, la prière.

Mettre nos communautés en état de Carême n’a donc de sens qu’en vue de cette finalité proprement spirituelle. Encore faut-il que les signes de cet appel soient suffisamment parlants. Je proposerais volontiers au Conseil Pastoral de débattre de cette question : messes du dimanche, jeune, partage, temps de réflexion, de formation, de prière… comment, à travers quelques signes suffisamment parlants, mettre notre communauté en état de Carême ? ——————-  


[1] En fait comme les pharisiens jeûnaient le lundi et le jeudi (leur jour de repos étant le samedi), les premiers chrétiens avaient décalé au mercredi et vendredi (le jour de repos étant le dimanche).

[2] Le carême dure quarante jours en rapport aux 40 ans que le peuple d’Israël a passé au désert lors de l’Exode, entre la sortie d’Égypte et l’entrée en terre promise ; en rapport aussi au 40 jours passés dans le désert par le Christ après son Baptême. Le Carême commence le mercredi des cendres (le lendemain de Mardi gras). En fait la durée totale du Carême est de 46 jours car le dimanche, jour de Résurrection, on ne jeûne pas. Depuis 1949, le jeûne est limité à deux jours, le mercredi des cendres et le vendredi saint. L’Église ne nous ordonne de jeûner que 2 fois l’an, ce qui est fort peu. Sont dispensés de jeûner les personnes de plus de 60 ans, les jeunes de moins de 18 ans accomplis et les femmes enceintes De plus sont dispensés du jeûne, les personnes de plus de 60 ans, les jeunes de moins de 18 ans accomplis et les femmes enceintes. L’abstinence (s’abstenir de viande) s’impose pour le mercredi des cendres, le vendredi saint et tous les vendredis ordinaires sauf fête spéciale.

[3] Au cours de la célébration, après l’écoute de la Parole, le prêtre invite les fidèles à la prière et bénit les cendres : « Demandons au seigneur de bénir ces cendres dont nos fronts vont être marqués en signe de pénitence ». En principe, les cendres sont celles des rameaux bénis au dimanche des Rameaux de l’année précédente. Puis chacun reçoit sur la tête un peu de cendres tandis que le célébrant lui dit : « Convertissez-vous et croyez à l’évangile » (Marc 1, 15) ou « Souviens-toi que tu es poussière et que tu retourneras en poussière » (Genèse 3, 19)… Les paroles que le célébrant prononce, invitent le croyant à se rappeler sa fragilité, à s’interroger sur sa destinée, à se convertir, c’est-à-dire à remettre sa vie en conformité avec l’Evangile. C’est tout l’enjeu du Carême… Se couvrir de cendres ou s’asseoir sur la cendre en signe de pénitence est une pratique souvent rapportée dans l’Ancien Testament. A la suite de la prédication de Jonas, le roi de Ninive « s’assoit sur la cendre » (Jonas 3, 6). En 2 Samuel 13, 19, Tamar « prend de la cendre et s’en couvre la tête ». Le rite peut être un rite de pénitence mais aussi un rite de souffrance devant ce que l’on a vécu. (Extraits de https://liturgie.catholique.fr/accueil/annee-liturgique/du-careme-au-temps-pascal/le-careme/3655-mercredi-des-cendres-careme/)

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