La troisième rencontre-débat “Parlons-en” du dimanche 12 Mars 2023 avait pour thème “L’Église et les personnes homosexuelles”. Elle était organisée par Louis-Marie Chauvet, Mireille Bonafoux et Christiane Marmèche. Elle s’est déroulée en plusieurs temps selon ce qui avait été annoncé :
- L’homosexualité au regard de l’histoire et des cultures (5 mn)
- Sur les relations homosexuelles, l’Église cherche ses mots (10 mn)
- Lecture de deux pages de La Croix (photocopiées pour tous) : « Église et personnes homosexuelles : la porte s’entrouvre »
- Débat à partir de ce texte
- Chant
Voici le texte de La Croix légèrement modifié, texte donnant un bon éclairage mais datant d’il y a cinq ans.
Église et personnes homosexuelles : la porte s’entrouvre
Dans le diocèse de Créteil, comme dans de nombreux autres, tout a commencé il y a cinq ans. Après le vote de la loi sur le « mariage pour tous », l’évêque et son conseil épiscopal ont mesuré à quel point les paroisses s’étaient divisées. C’est ainsi qu’est né le groupe “Se parler”, confié à un diacre et son épouse, et constitué de personnes homosexuelles – seules ou en couple, pacsées et même mariées – et de parents d’enfants ayant révélé leur homosexualité. Pas de mission explicite, sinon de « témoigner d’une présence fraternelle d’Église » aux côtés des personnes concernées, et d’en être « le signe au sein du diocèse ». La première année s’est passée… à écouter les blessures de chacun et à panser les plaies… elle s’est conclue par une marche au cours de laquelle l’évêque a dit aux participants qu’ils “font partie du corps du Christ”. Certains, qui n’avaient pas entendu cette parole depuis longtemps, en ont pleuré…
Pour beaucoup de catholiques, l’intense débat qui a précédé le vote de la loi a été le révélateur d’une grande souffrance, du sentiment de « rejet » de l’Église vécu par nombre de personnes homosexuelles et par leurs proches. Dans plusieurs diocèses, des laïcs, des diacres et parfois des prêtres ont été chargés d’analyser la situation et de proposer des pistes pastorales, venant compléter le travail effectué par les mouvements d’homosexuels chrétiens.
De Nantes à Saint-Étienne, de Nîmes à Lille, les témoignages sont les mêmes. Ceux de laïcs, mariés ou non, parfois solidement engagés dans leur paroisse et brutalement déchargés de leurs responsabilités après avoir révélé leur homosexualité – au prix parfois d’un « assassinat en règle pendant une heure par le curé », raconte un prêtre – ou même « ostracisés » depuis par des paroissiens. Ceux aussi de parents confrontés à la découverte de l’homosexualité d’un enfant, seuls avec leurs questions : qu’avons-nous raté pour en arriver là ? Pourra-t-il être heureux ?
« Les personnes homosexuelles et leurs parents ont l’impression que l’Église parle d’accueil mais qu’elle les place à part », rapporte Fabienne Daull, membre du groupe Cados (Chrétiens s’accueillant dans leurs différences d’orientations sexuelles) à Nîmes. « Beaucoup se sont sentis agressés par les manifestations, qu’ils ont vécues d’autant plus douloureusement qu’ils ont eu le sentiment que “l’Église était derrière” », ajoutent Loïc et Delphine Hussenot, responsables de la pastorale des personnes concernées par l’homosexualité dans le diocèse de Saint-Étienne.
L’homophobie, encore très présente dans l’ensemble de la société, « reste une des causes majeures des suicides d’adolescents », rappelle Isabelle Parmentier, à qui Mgr Pascal Wintzer, archevêque de Poitiers, a confié cette mission en 2013 et qui ne ménage pas sa peine, depuis, pour accompagner des parents, des personnes ou des couples homosexuels, chrétiens ou non, et le cas échéant, reconstruire leur lien avec l’Église. « Dans certaines familles catholiques, la souffrance est encore aggravée par l’idée que leur enfant homosexuel “vit dans le péché” », constate-t-elle.
Les réticences restent encore vives, parmi les prêtres comme parmi les fidèles, à l’égard de toute proposition pastorale adressée aux personnes homosexuelles. Lors de ses premières conférences après le vote de la loi, Claude Besson, pionnier de l’accueil des personnes homosexuelles dans l’Église[1], a constaté que certains catholiques craignaient une « banalisation de l’homosexualité, au point que les jeunes, et donc leurs enfants, puissent se dire “pourquoi pas ?” » « Moi-même j’ai hésité avant de m’investir dans cette pastorale par crainte des réactions de mes confrères », reconnaît un prêtre, désormais responsable de l’équipe diocésaine. […] Ici, les affiches sur la porte de l’église annonçant une conférence sont arrachées. Là, l’évêque a reçu « des insultes inimaginables » lorsque son souhait d’accueillir une formation sur le sujet « s’est su dans son diocèse » …
Mais petit à petit, la mobilisation progresse. Jusque-là très discrets, voire cachés ou réservés à « certains prêtres » connus comme « plus ouverts », l’accueil et l’accompagnement des personnes et aussi des couples homosexuels sortent de l’ombre.
Le pape François a apporté, en deux temps, un appui inespéré à ceux qui plaidaient, parfois de longue date, pour que l’Église fasse davantage preuve d’ouverture. D’abord avec sa réponse au journaliste qui l’interrogeait dans l’avion qui le ramenait des JMJ de Rio – « Si une personne est homosexuelle et cherche le Seigneur avec bonne volonté, qui suis-je pour la juger ? » – puis, de manière plus structurée, avec son exhortation apostolique Amoris laetitia.
Cinq ans après le « mariage pour tous », 35 diocèses ont « missionné » des personnes « pour proposer des initiatives en lien avec l’homosexualité », se réjouit Claude Besson, qui compte envoyer un tableau récapitulatif à l’ensemble des évêques. « Bien sûr, certains voudraient que les propositions aillent plus vite, plus loin, mais il y a dix ans, je n’aurais jamais pensé que nous en serions là aujourd’hui. » Grandes conférences, mais aussi marches spirituelles sur une journée comme ces « Chemins d’Emmaüs » nés à Nanterre, ou encore cycles de formation à l’image des « Jeudis de la différence » bâtis sur quatre séances par Isabelle Parmentier à Poitiers… Les propositions se multiplient et se diversifient à l’égard des personnes homosexuelles, de leurs proches, ou de « l’ensemble des communautés chrétiennes ». […]
Parfois les équipes tâtonnent. À Lille, comme à Nîmes, les permanences d’accueil ont reçu peu d’écho. « Peut-être les gens ont-ils peur d’être embrigadés par l’Église, ou que leur soit servi le discours officiel, avec plus ou moins de tact », avance Michel Anquetil[2]. « La participation est en tout cas plus large lorsqu’ils peuvent venir anonymement. » L’objectif reste le même : « Dire et redire que l’on peut être chrétien et homosexuel, que ce n’est pas incompatible ni contraire à la foi », résume Fabienne Daull. « La feuille de route que m’a donnée mon évêque est très claire : aider les gens à vivre leur homosexualité et à trouver Dieu dans leur vie », appuie Isabelle Parmentier.
L’objectif des équipes pastorales est aussi de faciliter l’intégration des personnes homosexuelles dans les paroisses. Là encore, la tâche est immense. Il faut rappeler qu’elles peuvent y prendre des responsabilités, que leurs enfants peuvent être baptisés, etc. Concernant les demandes de bénédiction de couples de même sexe mariés civilement, les pratiques divergent encore d’un diocèse à l’autre, et même d’un prêtre à l’autre. Dans le diocèse de Saint-Étienne, l’évêque – alors Mgr Dominique Lebrun – a fixé un cadre. « Il a écrit une note rappelant que l’accueil de la part de tous les chrétiens était une absolue nécessité, soulignent Delphine et Loïc Hussenot. Concernant les baptêmes, il demande aux responsables pastoraux de rappeler la contradiction entre le choix de vie des parents et la position de l’Église mais aussi d’accueillir l’enfant. Quant aux demandes de bénédiction après un mariage, il suggère un temps de prière avec le couple, pour confier à Dieu son amour, plutôt en dehors de l’église pour éviter toute confusion. » […] Du chemin a été parcouru…, mais le travail ne fait que commencer.
[1] C. Besson, Homosexuels catholiques. Sortir de l’impasse, préface de Véronique Margron, Éd. de l’Atelier, 2012. Un résumé se trouve sur https://journals.openedition.org/chrhc/14906
[2] M. Anquetil, Chrétiens homosexuels en couple, un chemin légitime d’espérance, Édilivre, 2018,
D’après l’article de Anne-Bénédicte Hoffner, La Croix, 21-22 avril 2018