Lors de cette soirée, en s’appuyant sur le livre de Louis-Marie Chauvet Dieu, un détour inutile ?, il s’agissait de revisiter avec des mots d’aujourd’hui différents aspects de la théologie, de la liturgie et de la pastorale.
Une quarantaine de personnes étaient présentes, dont Mireille Bonafoux (responsable des formations sur le groupement paroissial), Christiane Marmèche (qui avait préparé des questions à la demande de L-M Chauvet), Dominique Saint-Macary et Pierre Sinizergues, ceux qui interviewent L-M Chauvet dans le livre.
À l’arrivée dans la salle, chacun a trouvé sur sa chaise une feuille contenant le titre du livre, la table des matières, un petit épilogue du livre et deux chants choisis par Louis-Marie.
Le texte mis ici reprend en grande partie un résumé fait de tête deux jours après la rencontre, il est donc approximatif ! Des citations du livre ont été ajoutées pour préciser la pensée de Louis-Marie. Vous avez aussi une vidéo de 8 mn sur Résumé de rencontres ponctuelles.
Compte-rendu de la RENCONTRE
Nous avons chanté “Pour l’amour de cet homme”, puis Mireille a dit un mot d’accueil.
Dominique et Pierre qui sont à l’origine du livre, ont présenté brièvement l’historique. Au départ Louis-Marie Chauvet ne pensait pas faire un livre mais ils lui ont posé des questions… et au bout de quatre ans c’est devenu un livre. Dans le livre, les questions sont telles qu’elles ont été posées, rien n’est inventé. L’origine du titre vient de ce qu’une fille de Dominique lui a dit un jour que pour elle « Dieu c’était un détour inutile ».
Ensuite Mireille a lu l’épilogue qui se trouve sur les feuilles qui avaient été distribuées. Puis Louis-Marie a développé le thème ainsi mis en évidence. Voici l’extrait de l’épilogue :
« Pour ce qui me concerne, je tiens que Dieu est par-delà l’utile ou l’inutile, mais que le détour par lui change bien des choses… Ce détour n’« explique » rien, surtout pas la souffrance… il n’est pas nécessaire pour vivre, jusqu’à l’héroïsme parfois, des valeurs de justice et de responsabilité, de générosité, ce dont témoignent bien des personnes qui ne sont pas chrétiennes…
Mais l’Évangile est bonne nouvelle en ce que le double commandement d’amour pour Dieu et pour autrui qui commande, par principe même, tout le reste et, plus encore, le fait que, au bout du compte, ait pu émerger l’idée, enracinée dans le destin de Jésus, que « Dieu est amour », demande à celles et à ceux qui s’en réclament la plus belle attitude qui soit : non seulement la non-récupération d’autrui au bénéfice de la cause chrétienne, non seulement la tolérance, mais l’admiration et l’action de grâce… C’est toute la vie qui s’éclaire d’une lumière nouvelle… Cela vous change le regard, cela vous change la vie. « Heureux les hommes au cœur pur, ils trouvent Dieu en toute chose ».
Ensuite Christiane a posé des questions à Louis-Marie Chauvet, questions regroupées sous quatre thèmes.
Premier thème : la résurrection.
Christiane a fait remarquer que le premier problème était de savoir de quel Dieu on parlait. Et puisque c’est Jésus qui nous le fait connaître, elle a proposé de partir de lui, et en particulier de sa résurrection qui est centrale pour les chrétiens (cf p. 92, “Au départ, l’expérience de Jésus ressuscité”).
Louis-Marie a expliqué pourquoi la résurrection de Jésus avait sens. Il est impossible de se représenter la résurrection parce qu’elle déborde notre expérience. Ce qui est dit à propos de Jésus c’est qu’ “il s’est fait voir” aux apôtres. En fait la difficulté ne porte pas sur la résurrection elle-même mais sur Dieu. Est-il vrai qu’en ressuscitant Jésus Dieu lui a donné raison d’avoir aimé jusqu’au sang versé ? Est-il vrai par conséquent que Dieu est amour, qu’en dépit souvent des apparences il est fidèle à sa promesse, à sa parole ?
Le thème de la résurrection a amené Louis-Marie à parler du corps, et en particulier d’une nouvelle façon de considérer le corps de tout homme, dans une structure autre que le dualisme âme-corps. Voici ce qui est dit dans le livre : « Ce corps est d’abord une affaire de relations et pas seulement une affaire de cellules biologiques, et que tout ce qui nous fait, dans le plus intime et le plus spirituel de ce que nous sommes, passe justement par ce “corps”, c’est-à-dire par la relation, par les regards, par les paroles, par les sourires, par les services rendus, etc. C’est précisément cela qui est en jeu dans ce qu’on appelle la “résurrection” ».
Une personne ayant demandé des précisions sur la résurrection de Jésus le 3e jour, Louis-Marie a précisé que le troisième jour n’est pas à prendre au pied de la lettre, mais que la référence qui est derrière cette mention, c’est une parole du prophète Osée (cf. Osée 6, 1-2). Christiane a alors précisé qu’il était intéressant de savoir que dans l’évangile de Jean, la résurrection avait lieu sur la croix, ce à quoi Louis-Marie a ajouté qu’en saint Jean, non seulement sur la croix il y a la Résurrection, mais aussi l’Ascension sous la forme de l’élévation.
Voici le passage du livre qui éclaire cela p. 79 “S’abandonnant à Dieu ou abandonné par Dieu ?”, le 2e paragraphe a fait l’objet d’une allusion à un autre moment de la soirée
La toute-puissance, ou la gloire comme on dit, où est-ce qu’elle se révèle ? D’après l’évangile de Jean, sur la croix : « Quand je serai élevé de terre, j’attirerai tout à moi. » L’élévation dont il s’agit fait référence à celle du serpent de bronze, durant l’exode au désert, vers lequel ceux qui avaient été mordus par un serpent des sables tournaient leur regard pour être guéris. Mais c’est aussi l’« élévation » de la résurrection ou de l’exaltation, comme l’a si bien compris la tradition iconographique représentant Jésus en croix non pas comme un Christ ensanglanté, mais comme un Christ en gloire.
On retrouve cela également dans l’évangile de Marc. Je pense à la fameuse confession de foi du centurion romain. Jésus vient de mourir, selon Marc (suivi par Matthieu), en criant « Mon Dieu pourquoi m’as-tu abandonné ? » Il cite un psaume, donc une prière. Or on ne cite pas dans la prière comme on cite dans un discours : si je cite quelqu’un dans un discours, je laisse la parole à ce quelqu’un en ouvrant les guillemets ; dans la prière en revanche, je m’approprie ce que je cite, je supprime les guillemets en quelque sorte. Dès lors, ce cri du psalmiste est devenu vraiment la prière de Jésus : celle d’une relation avec Dieu où le juste crie son abandon par Dieu. J’insiste : selon Marc et Matthieu, il ne s’agit pas ici de l’abandon du juste à Dieu, comme dans la version de Luc : « Père entre tes mains, je remets mon esprit » ; il s’agit bien de l’abandon du juste par Dieu. […] Ainsi, Jésus fait sien le cri d’abandon du psalmiste, et il fait de ce cri d’abandon une prière. C’est sans doute là, selon moi, que se trouve le sommet de la foi : maintenir une relation vivante avec Dieu dans le moment même où cette relation paraît le plus vide.
Louis-Marie a précisé que la mort-résurrection était la référence de tout… Christiane lui a demandé de développer ce qu’il disait p.301 à propos de l’incarnation : elle est à comprendre à partir de la mort-résurrection. Il a dit qu’en effet l’incarnation ne se comprenait qu’à partir du mystère pascal de mort-résurrection, et que de toute façon Noël était une fête tardive puisqu’elle n’avait existé qu’à partir du IVe siècle, avant on n’en avait pas eu besoin !
Livre p. 301 “L’incarnation comprise à partir de Pâques”.
« Personnellement, quand je pense incarnation, je ne pense pas d’abord à Noël, même si je ne l’exclus pas bien sûr. Je pense à la croix et à la résurrection, donc à ce qu’on appelle le mystère pascal. Pour moi, ce point a été très important dans ma propre démarche. Pourquoi je dis cela ? Parce que la question n’est pas, comme on l’a pensé durant des siècles : “Comment est-il possible que Dieu, sous-entendu dont on sait bien a priori quel il est : incorporel, immortel et tout-puissant, ait pu se faire homme ?” Pour moi en tout cas, la question est en amont ; elle est devenue, dans la culture actuelle : “Mais qui donc est Dieu pour que nous puissions dire de lui : il s’est fait voir en l’homme Jésus ?” »
Deuxième thème : La Trinité, Dieu ouvert, Dieu amour.
Christiane a rappelé le titre du chapitre 5 du livre : “La Trinité, Dieu ouvert”. Louis-Marie a développé ce sujet.
La Trinité est quelque chose de central puisque déjà nous sommes baptisés « au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit ». Le Dieu unique n’est pas un bloc monolithique, il complexe, il est pluriel, il est ouvert ce qui veut dire relationnel. Il est amour pour nous car il est amour en lui-même. Dieu est relation, ouvert sur nous à en perdre la vie. Sur la croix nous contemplons Dieu méconnaissable, Dieu ouvert. Et c’est en étant ouvert à l’autre que nous pouvons être témoin de l’ouvert qu’est Dieu.
Christiane ayant évoqué le fait que dans le livre Louis-Marie indiquait préférer parler de “Dieu ouvert” plutôt que de “Dieu amour” pour éviter le moralisme, Louis-Marie a appuyé et développé un tout petit peu ce thème.
Livre p. 107. Lors d’une retraite des équipes Notre-Dame que j’animais, quelqu’un m’a posé la question : « Finalement, pour vous, quel serait le meilleur mot pour dire Dieu ? » Je lui ai dit : jusqu’à récemment, j’aurais prononcé le mot “amour”, lequel demeure évidemment un mot tout à fait juste. Mais aujourd’hui, je préfère quand même celui d’”ouverture”. D’abord, parce que c’est un terme plus neutre ; ensuite, et surtout, parce que ce terme évoque une attitude intérieure qui est moins marquée sur le plan moral que celle de l’amour. Je ne peux en effet être témoin de ce Dieu “ouvert” qu’en étant moi-même ouvert. Dès que je prétends témoigner de la vérité d’un tel Dieu de manière crispée, en me blindant en quelque sorte, je me mets en contradiction avec cette vérité. C’est en étant ouvert à l’autre que je peux être témoin de l’« Ouvert » qu’est l’Autre !
Troisième thème. L’importance première de la parole de Dieu.
Christiane a rappelé en condensé le passage suivant d’un article récent écrit par Louis-Marie : « Qu’est-ce qui fait d’une vie humaine une vie proprement chrétienne ? C’est la combinaison de trois références : à la parole de Dieu, aux sacrements (parmi lesquels, et éminemment, l’eucharistie) et à une éthique de vie qui se conforme à l’Évangile. Ce qui est premier dans cette trilogie n’est pas le sacrement, mais bien la parole de Dieu. » En particulier lors de la liturgie, depuis un certain temps, on a mis en valeur le pôle de la parole de Dieu.
C’est ce dernier sujet que Louis-Marie a développé. Il a rappelé que depuis Vatican II, la parole de Dieu avait une place importante au cours de la messe, que toute la première partie qui avant était considérée comme un préambule, était maintenant considérée comme un moment très important et indispensable. Il a cité un titre de chapitre : “L’eucharistie : ruminer la Parole”.
p. 170. “La Parole au cœur du sacrement” : « Avant n’importe quel geste sacramental, on écoute la Parole de Dieu. Il en a été, et il en est toujours ainsi, toujours depuis l’origine. Il suffit de penser au récit des disciples d’Emmaüs en Luc 24, avant la fraction du pain, Jésus a interprété l’Écriture » ; « Dans l’Église, on va de la Parole vers le sacrement et jamais l’inverse : c’est le point d’aboutissement, la cristallisation de la Parole qui a été annoncée…. La Parole d’amour sauveur de la part de Dieu qui se rend visible, tangible ».
p. 174 Question : Est-ce que… pour Origène, la fonction de la Parole est de nourrir l’homme ? L-M C. Oui. De le nourrir spirituellement, bien entendu. C’est la raison pour laquelle on a affaire à une vénération traditionnelle des Écritures que Vatican II a si bien soulignée, notamment dans la Constitution Dei Verbum au no 21. Je vous cite de mémoire ce texte… : « L’Église a toujours vénéré les divines Écritures, comme elle l’a toujours fait aussi pour le Corps même du Seigneur, elle qui ne cesse pas, surtout dans la sainte liturgie, de prendre le pain de vie sur la table aussi bien de la Parole de Dieu que du Corps du Christ pour l’offrir aux fidèles. »
Christiane a fait la remarque que la parole de Dieu n’était pas seulement entendue et ruminée lors de la messe, mais qu’il y avait aussi, en particulier sur le groupement paroissial, des célébrations de la parole, des groupes de lectures (les “Puits de la parole”) et le groupe biblique qu’elle anime.
Quatrième thème. Le rôle de l’assemblée à la messe. Acclamation plus qu’adoration.
Christiane a commencé à énoncer : « Un seul préside afin que… » (cf. p. 123), et Dominique a fini la phrase : « un seul préside afin que tous célèbrent ». Louis-Marie a précisé que cette phrase n’était pas de lui, ou plutôt que c’est seulement “afin que” qui était de lui. Il a redit que « La liturgie est l’œuvre du Christ en Église, dans la force de l’Esprit. Le “nous” ecclésial est présidé par le Christ, et le ministère de l’ordre actualise cette fonction de présidence. »
Christiane ayant évoqué ce qui est dit dans le livre, à savoir qu’au cœur de la messe, se trouve non pas l’adoration au moment de la consécration (“Ceci est mon corps, ceci est mon sang”), mais l’acclamation de l’assemblée lors l’élévation du pain et de la coupe (« Par lui, avec lui et en lui… »), c’est-à-dire l’Amen de toute l’assemblée (cf. p. 217). Louis-Marie a développé, en précisant, suite à une remarque, que le moment de toute la Prière eucharistique est un moment où traditionnellement le peuple est debout et non à genoux, et qu’en particulier ce serait bien que tous soient debout au moment du “Par lui, avec lui et en lui…”.
Pour la dernière demi-heure les questions étaient libres
Une question a été posée à propos de ce qu’on peut transmettre à nos enfants : « c’est bien de dire qu’il faut être ouvert, mais il y a des valeurs qu’il faudrait transmettre, est-ce qu’on peut laisser faire n’importe quoi ? » Louis-Marie a redit ce qui se trouve au début de son livre, à savoir que les valeurs ne sont pas propres aux chrétiens.
p. 43-44. « Beaucoup de ces quasi-indifférents [par rapport au christianisme] continuent de croire – et même très fort – à des valeurs comme la générosité, le partage, la justice ou la responsabilité. Quand ils se disent eux-mêmes chrétiens, c’est la plupart du temps à cause de ces valeurs, comme on le voit si fréquemment dans les réunions de préparation au baptême. Ils sont d’ailleurs étonnés quand on leur rappelle que le jour du baptême, on ne leur demandera pas s’ils croient à ces valeurs, mais s’ils croient EN Dieu tel qu’il s’est révélé dans la Bible et ultimement en Jésus-Christ. Mais le Dieu Trinité, pour beaucoup, c’est une option en quelque sorte. Pourquoi aurait-on d’ailleurs besoin de ce détour par Dieu ? »
Quelqu’un a posé une question sur un passage de la nouvelle traduction du missel : Le président dit : “Priez, frères (et sœurs) : que mon sacrifice, qui est aussi le vôtre, soit agréable à Dieu le Père tout-puissant.” La nouvelle expression utilise d’abord la 2ème personne : « Priez » et non plus « prions », comme s’il y avait deux groupes bien distincts, le prêtre et l’assemblée ; ça ne correspond pas à ce que disait Louis-Marie. Il a répondu que c’était une traduction exacte de l’original latin, et il a évidemment cité la chose en latin. Il a précisé qu’il y avait certaines choses intéressantes dans la nouvelle traduction, par exemple quand on présente les offrandes.
Quelqu’un a dit : ce n’est pas Dieu qui me pose problème, mais c’est l’Église. Louis-Marie est conscient des problèmes qui se posent de ce côté-là, mais il a fait la remarque que dans d’autres Églises que l’Église catholique, par exemple l’Église luthérienne, on rencontre les mêmes problèmes.
Christiane lui a rappelé que lui-même disait que s’il avait le choix, il ne se ferait pas appeler “père” mais “pasteur”, et que malheureusement ce mot avait été piqué par nos frères protestants ! Il a approuvé et a ensuite développé comment il comprenait le sacerdoce.
Dans le livre p. 129, “Sacerdoce ou pastorat ?”. « L’emploi du terme de « sacerdoce » en un sens absolu (comme dans « j’exerce mon sacerdoce dans telle paroisse ») … me paraît dangereux…. Le mot qui englobe, c’est, pour moi, le mot « pasteur ». C’est le plus beau. Ce mot dit quelque chose de spécifique : on ne l’emploie pas pour les laïcs, ni même d’ailleurs pour les diacres, seulement pour les évêques et les prêtres. »
Pour finir, tout le monde s’est levé pour chanter ‘Peuple de Dieu, n’aie pas de honte’. Mireille a ensuite rappelé les prochaines conférences de carême que Louis-Marie Chauvet anime en mars 2022. Elle a souligné que si quelqu’un avait des questions, des propositions, il pouvait écrire à l’adresse indiquée sur le bas de la feuille : gnd95.formation@gmail.com