Cet article est paru dans les Nouvelles Religieuses d’Eaubonne, un bulletin édité jadis par la paroisse et distribué dans toutes les boites aux lettres d’Eaubonne. C’était dans les années 1987, à cette époque Louis-Marie Chauvet faisait partie de l’équipe de prêtres avant d’aller à Saint-Leu-la-Forêt puis à Deuil-la Barre, pour revenir enfin à Eaubonne !
Il s’agit d’une interview menée par les N. R. E..
Résurrection
Le Père Louis-Marie Chauvet est prêtre à Eaubonne. Il est professeur de théologie à l’Institut Catholique de Paris. Nous lui avons posé des questions sur la fête de Pâques.
► À Pâques, les chrétiens célèbrent le Christ ressuscité. Que veut-on dire quand on dit que Jésus est ressuscité ?
L-M C : La première chose à dire, c’est que les premiers chrétiens ont dû trouver des mots pour dire quelque chose de nouveau. Dans le Nouveau Testament, il y a deux séries de mots :
– Il y a une série de mots qui fait appel au temps : avant et après. On va dire que Jésus était endormi et que Dieu l’a éveillé. Ou bien encore, Jésus était couché dans la mort (comme dans le sommeil) et Dieu l’a relevé. L’avantage, c’est que ces mots permettent de comprendre que les disciples ont reconnu en Jésus ressuscité le même homme qu’ils avaient connu avant. L’inconvénient, c’est qu’ils ne disent pas la différence qualitative de vie après la mort. Si on n’avait que ces mots-là, on pourrait comprendre que c’est une réanimation comme la résurrection de Lazare.
– L’autre série de mots s’inscrit dans le registre de l’espace : en bas, en haut. On dit que Dieu l’a exalté, l’a glorifié, etc. L’avantage est qu’on voit bien que la vie de Jésus ressuscité est une vie en Dieu complètement différente de la nôtre. Mais l’inconvénient, c’est que les mots expriment moins que c’est le même Jésus. Ils soulignent plus la rupture et moins la continuité.
Donc, dans le Nouveau Testament, on a les deux séries de termes. Quand on dit que Jésus est ressuscité, on dit qu’il vit en Dieu, qu’il vit de la vie de Dieu ; et c’est ce même Jésus qui a partagé notre humanité et vécu dans notre histoire. D’ailleurs, la liturgie de Pâques dit bien que le Christ est ressuscité mais qu’il garde les plaies de sa passion.
► Dans le Credo, les chrétiens disent qu’ils croient à la résurrection de la chair. Que veut dire résurrection de la chair ?
L-M C : On dit que Jésus est ressuscité d’entre les morts et qu’il est ressuscité dans son corps. On va donc parler de résurrection de la chair.
Généralement, on comprend mal cette expression parce qu’on imagine une résurrection du corps biologique. Il faut abandonner cette représentation. Pourquoi ? Parce que le mot “chair” est à comprendre à partir de la culture sémitique.
Dans cette culture, l’être humain peut être vu sous trois angles différents :
- comme esprit, c’est l’être humain tourné vers Dieu (saint Paul dira l’homme pneumatique) ;
- comme être animé par un souffle vivant (saint Paul dira l’homme psychique) ;
- comme corps ou comme chair : c’est l’être humain tout entier en tant qu’il est soumis à la mort, à la souffrance, au péché.
Quand Jésus, le Jeudi Saint, en prenant du pain dit : « Ceci est mon corps », il ne parle pas de la viande, mais il veut dire que c’est lui tout entier en tant qu’il doit passer par la mort.
La résurrection de la chair, c’est donc moi qui suis faible et mortel qui passe tout entier vivant en Dieu.
C’est une grande différence avec les Grecs pour qui le corps est opposé à l’âme. Pour dire que l’homme vit en Dieu, les Grecs disent que l’âme est immortelle. C’est une anthropologie toute différente de l’anthropologie sémitique. Cette notion sémitique est beaucoup plus riche que la notion grecque parce qu’elle désigne l’être humain dans sa condition corporelle, donc dans ses relations et son histoire.
Ce qui est destiné à vivre en Dieu, c’est moi tout entier avec mes relations qui m’ont fait. C’est pourquoi la foi chrétienne parle de résurrection en général. Il ne peut y avoir de joie pleine de Dieu si c’est une réalité simplement individuelle. La joie pleine de Dieu suppose les relations avec les autres. C’est plus riche que l’immortalité de l’âme.